Entretien 7 raisons de jubiler.
À l’occasion de l’ouverture de l’Année sainte, sept personnalités ont confié à La Croix leur raison de se réjouir. Aujourd’hui, le père Paul Bony, sulpicien, professeur d’exégèse et supérieur de séminaire, qui a fêté ses 100 ans et porte un regard lumineux sur son itinéraire de vie.
La Croix : Vous avez fêté fin septembre vos 100 ans. Comment avez-vous vécu cet anniversaire ?
Paul Bony : Je me suis senti visité, estimé, accompagné par ma famille et mes amis et tous ceux et celles qui sont liés à mon ministère dans l’enseignement biblique et la formation des prêtres. Pour moi, il y a un décalage entre la reconnaissance qui m'a été manifestée et la petite personne que je suis avec ses manques, ses limites et ses faiblesses. Dans le mot que j'ai adressé à la messe de rentrée du diocèse de Marseille, j'ai fait mienne cette formule qui résume ma vie : "Dieu est grâce et l'homme action de grâce."
Qu’est-ce qui a suscité votre action de grâce ?
P. B. : J’ai été notamment touché par les deux albums de textes et de photos de famille qui m’ont été offerts. Ils contiennent un document qui m’est très cher : c’est l’unique lettre que j’ai reçue de mon père, à l’occasion de mon ordination. Avec ses mots tout simples, il me dit prier la Vierge et le curé d’Ars pour que je sois un « bon prêtre ». Mon père était d’origine très modeste, il avait arrêté l’école après le certificat d’études. Il était entré à l’usine à 14 ans et a aussi travaillé comme agriculteur. J’ai été profondément marqué par sa foi simple et son humanité sans fioritures. Quand j’ai annoncé que j’entrais au séminaire, mes parents m’ont laissé partir ; pourtant, en tant qu’aîné, il était attendu que je contribue au soutien de mes cinq frères et sœurs. Je leur dois, à tous, beaucoup…
Vous avez été le témoin de grands bouleversements dans la vie de l’Église. Quels sont les plus réjouissants pour vous ?
P. B. : J’ai vu de belles transformations ! On est passé d’une Église puissante et enseignante à une Église qui se laisse enseigner et qui partage son pouvoir et son autorité, notamment avec les laïcs. J’ai vécu une double ouverture : la première, c’est la transformation des relations entre l’Église en Europe et dans le reste du monde. Une réciprocité s’est instaurée : j’ai eu la joie d’accueillir pour la première fois des Tchadiens, des Béninois, des Camerounais venus donner des cours de théologie et d’Écriture sainte. Une première !
Et la seconde ouverture ?
P. B. : C’est l’ouverture aux autres religions. L’Église ne s’est plus considérée comme la seule expression de la révélation de Dieu dans l’histoire. Il existe en dehors d’elle des rayons de lumière qui sont bénéfiques à la vie humaine et nous mettent en communion avec Dieu. En arrivant à Marseille, j’ai été propulsé par ce désir de rencontre et de relation avec les juifs et les musulmans, dont les communautés sont bien représentées. J’ai pu vivre ces rencontres en participant à la création de l’Institut de sciences et théologie des religions (ISTR), où des professeurs de ces traditions religieuses enseignent. Dieu ne se révèle pas dans un monologue mais à travers des croyants qui échangent entre eux sur leur relation à Dieu.
La question de la transmission est au cœur de votre ministère, comment la vivez-vous aujourd’hui ?
P. B. : Je veux continuer à faire bénéficier autour de moi de ce que j’ai reçu, à la mesure de mes moyens, bien sûr. Je vais par exemple proposer en janvier aux résidents de la maison (tenue par les Petites Sœurs des pauvres à Marseille, NDLR) un parcours biblique autour du prophète Jérémie. Mais aujourd’hui ma façon de transmettre, c’est de prendre soin de mes relations avec les personnes qui m’entourent, avec celles qui viennent me visiter. Pour moi, la préposition la plus décisive de la théologie biblique c’est « avec » :`im en hébreu ou sun en grec ; traduits par cum en latin : être avec. J’utilise mes dernières années de vie à être plus attentif aux autres, plus à l’écoute. Je désire rattraper en générosité, en don, en prière ce qui a manqué dans le passé. À 100 ans, je veux aimer davantage.
Nous traversons une période chaotique, qu’est-ce qui peut être source d’espérance ?
P. B. : Dans la tradition biblique, le Jubilé est ce moment où Dieu nous remet à flot : celui qui a perdu sa liberté la retrouve, celui qui pleure est consolé, l’exilé revient sur sa terre. Dieu nous appelle à donner plus intensément ce qu’il y a de meilleur en nous, la grâce que nous avons reçue, afin de contribuer à une fraternité sociale, culturelle, religieuse… Les périodes de crise sont des moments d’espérance dans la mesure où elles nous offrent l’occasion de nous tourner vers l’essentiel –qui n’est jamais donné d’avance et qui reste à découvrir. La crise nous interroge : comment restons-nous humains au milieu de ce qu’il nous est donné de vivre ?
Source : https://www.la-croix.com/religion/pere-paul-bony-a-100-ans-je-veux-aimer-davantage-20241229